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Giuseppe

Documentaire  /  2022 /  17 min

Réalisation, image & son / Paolo Jacob & Oscar Aubry

Musique  /  Oscar Aubry

Mixage / Paolo Jacob

Pour voir le film et le télécharger, c'est ici !

Giuseppe vit dans sa camionnette en plein cœur de Paris.

Chaque jour, il essaime 100kg de graines pour nourrir les pigeons sur le parvis de Beaubourg. Alors, vêtu d’un vieux manteau gris au milieu d’un tourbillon d’oiseaux, Giuseppe disparaît.

Entretien croisée avec Oscar Aubry et Paolo Jacob, réalisateurs du film « Giuseppe »

 

 

 

D’où vous est venu le désir de filmer Giuseppe et les pigeons à Paris ?

Oscar :

A la base, nous voulions faire un docu-fiction expérimental sur les pigeons, entièrement au téléobjectif et au ralenti. Un film qui se rapproche des pigeons, tout près, afin d’ouvrir un imaginaire sur ces animaux peu appréciés en ville. Mais rapidement, nous avons rencontré Giuseppe, et il nous a paru évident que notre film devait se faire sur lui. La première rencontre nous a totalement absorbé, c’était comme une pièce de théâtre.

 

Paolo :

On nous avait parlé de cet homme qui habitait à Beaubourg, et qui nourrissait les pigeons. Nous attendions sa venue vers 13 h sur l’esplanade du centre, là où des centaines de pigeons l’attendaient. Puis Giuseppe est apparu juste devant nous. Nous découvrons un vieil homme bossu, plié en deux, tirant des caddies lourdement chargés. Alors que les pigeons s’agitaient autour de lui, il sortit des gros sacs de graines de ses caddies, qu’il déposa au sol un-à-un. Tout s’est passé très lentement. L’homme faisait des gestes assurés, précis, mais se déplaçait difficilement. Il y avait une forme d’excitation qui montait, les pigeons étaient toujours plus nombreux. Lorsqu’il a commencé à jeter les graines, il y avait tellement d’ailes en mouvement qui se frôlaient que Giuseppe semblait disparaitre. Comme d’autres passants, nous l’avons regardé pendant une heure, comme hypnotisés par ce que nous voyons.

 

Oscar :

Suite à ce moment, nous sommes allé voir Giuseppe, et lui avons parlé de notre désir de faire un court-métrage sur les pigeons à Paris. Il a tout de suite accepté l’idée d’en faire partie. Notre rencontre avec Giuseppe s’est vite imposée comme étant le pivot central du film : nous étions vraiment curieux de mieux comprendre ses choix de vie, aux antipodes de la vie citadine. Nous l’attendions chaque jour à la même heure, pendant une semaine, dans le désir de centrer le film sur ce moment de nourrissage. Nous recherchions la même tension, la même magie que nous avions vécue le premier jour. C’était en janvier, il faisait froid, c’était juste après le deuxième confinement.

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  • Qui est Giuseppe ?

Oscar :

Nous avons tenu à garder du mystère autour de Giuseppe, sans prendre frontalement parti pour ou contre son action, très controversée dans le quartier. Nous avons désiré retranscrire un espace poétique, que Giuseppe nous a donné à voir, en construisant le film autour de ses gestes. Giuseppe est issu d’un milieu rural pauvre en Calabre, dans le sud de l’Italie. Il est venu vivre en France, où il a eu des enfants et une longue carrière de chef comptable. A la retraite, il s'est beaucoup ennuyer. Puis, en rejoignant la Ligue de Protection de Oiseaux, il s’est pris de passion pour les pigeons. Giuseppe s’est mis à les nourrir, sans s’arrêter. Jusqu’à se faire expulser de son logement, jugé insalubre à cause des graines et des venues de pigeons. C'était surtout un prétexte pour le dissuader de rameter tout les pigeons à Beaubourg.  La mairie de Paris qui était propriétaire de son logement lui propose un autre logement excentrer mais en contrepartie Giuseppe doit s'engager à ne plus venir nourrir les pigeons. Il refuse alors d’être relogé dans un logement excentré, et décide de continuer son action à Beaubourg, en tenant tête à ses nombreux détracteurs. Giuseppe subit de nombreuses agressions, qui le rendent handicapé, son camion est vandalisé et incendié durant une nuit alors qu’il est à l’intérieur. Pourtant, Giuseppe le dit lui même : ce sont ses agresseurs qui lui donnent la force de continuer.

Jour après jour, il apprend à soigner les pigeons auprès d’un vétérinaire. Giuseppe habite alors dans une camionnette, et y installe des cartons qui lui permettent d’accueillir une dizaine de pigeons malade. Chaque mois, Giuseppe achète des sacs de grains et les médicaments qu'il paye avec la totalité de sa retraite. Il leur donnait environ 100kg de nourriture par jour.

 

Giuseppe est décédé un an après le tournage du film. Nous avons appris cette nouvelle en lisant des articles récents sur internet, alors que nous travaillions sur le montage. Malgré nos recherches pour connaître la cause de son décès, nous n’avons obtenu aucune réponse précise. Les différents médias parlent d’une mort « naturelle » dans sa camionnette. Nous étions retournés le voir, deux semaines avant qu’il s’éteigne : c’était en janvier, un an après le tournage. Giuseppe était alors très affaibli, il s’était fait voler ses caddies, et donnait à manger aux pigeons depuis sa camionnette, remplissant l’étroit trottoir de centaines de pigeons.

Quelle place occupait Giuseppe dans l’espace public ?

           

Paolo :

Giuseppe prenait l’espace dont il avait besoin pour nourrir les pigeons. Il les nourrissait deux à trois fois par jours. Pour s’arrêter et ainsi nourrir tous ces pigeons, il payait des amendes. Tout les mois la justice lui prélevait 50 euros sur son compte, pendant 10 ans, pour un total de 15 000 euros. Giuseppe faisait de la désobéissance civile : il ne cachait pas son action, se rendait au tribunal, payait ses amendes et continuait à poursuive son travail sans compromis. Il se disait « en règle avec la loi », tout en l’enfreignant en permanence.

Giuseppe était une figure apprécier dans le quartier, c’était un peu le spectacle chaque jour, et les gens s’y étaient attaché. Plusieurs y contribuaient, en lui donnant de l’argent, à l’achat des graines. Une association s’est même monter pour défendre son action, Giuseppe a été soutenue pour l’achat de sa camionnette et pour sa défense au tribunal. Les gens était séduit par le courage de cette homme qui vivait son action sans concession. Beaucoup d’autre se sont liguer contre lui, se plaignant des nuisances qu’amener les pigeons, ils y avaient pourtant bien de l’espace sur cette place… Giuseppe était une source intarissable de débats, de désaccords, de tensions et de poésie.  


 

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Où sont passer les sons bruyants de la ville dans votre film, tout est si calme, pourquoi ?

 

Oscar :

Giuseppe vivait en solitaire dans un espace bruyant aux interactions incessantes. Hormis une prise de son stéréo qui restituait l’ambiance, nous avons refait tous les sons du film. L’idée était d’isoler les actions de Giuseppe en « rejouant » tous ses gestes, à travers le bruitage. Les gestes de Giuseppe sont fins, précis, et nous avons voulu les mettre en valeur, créer une bulle autour de lui, car s’il vivait en plein cœur de Paris, il était coupé du monde moderne. Son monde à lui n’était pas fait d’humains mais d’oiseaux. En isolant totalement les bruits de la ville, nous avons voulu recréer un climat dans lequel les oiseaux sont de plus en plus nombreux, excités. Chaque évènement, chaque geste prend une réelle ampleur et intensité.

Les passants prennent un rôle central dans votre film : pourquoi ce choix ?

Paolo :

Très vite nous avons tenté d’inclure les regards qui se posent sur Giuseppe. L’effet de contraste est saisissant et témoigne bien de la fracture culturelle et sociale qui existe entre le monde citadin et le monde rural qu’incarne Giuseppe : un vieux paysan vivant au cœur de paris, habillé d’un manteau gris tacheté de fientes, ayant une vie rythmée et construite autour des pigeons. Les passants eux, portent des masques, obéissent au mesure d’hygiène, sont équipés de smartphones qu’ils brandissent pour filmer la scène : ils sont très loin de la vie que mène Giuseppe.

 

Mais les regards ne suffisaient pas toujours pour saisir les sentiments qui traversaient ces passants anonymes et masqués. Nous sommes allés les interroger pendant qu’ils contemplaient la scène. Le film tente de restituer une partie des questionnements, aprioris et jugements qui se posent quotidiennement sur Giuseppe. Ces témoignages replacent l’action de Giuseppe au centre du contexte social. On y perçoit des propos souvent favorables à son action, parfois critiques et même haineux. Nous nous sommes rendu compte que très peu de personnes le regardaient sans émettre aussitôt un jugement, positif ou négatif. Ce que montre le film, c’est que pour un évènement commun, il y a une infinité d’expérience et de perception propres à chacun.  

 

Comment percevez- vous la cohabitation entre les humains et les pigeons en ville ?

Paolo :

Il y a une rupture dans nos imaginaires entre la ville et la campagne. Lors d’une interview, une personne m’a dit « Si on veut des pigeons, on va à la campagne, la société en ville n’est pas faite pour ça ». Au fil du temps, la ville est devenue l’endroit de l’exclusion de la vie sauvage, une tentative d’extraction de notre condition de nature. Nous pensons que nous pouvons nous extraire du monde, et entretenir exclusivement des liens avec le vivant domestiqué.

Je pense aux animaux et aux plantes de compagnie. Le lien d’affect que nous entretenons avec ces êtres est étroitement lié aux liens de dépendance que nous engageons et aux pouvoirs que cela nous confère. Nous sommes le maitre d’un chien ou d’un chat en partie parce que celui-ci dépend de nous pour sa propre subsistance. La survie d’une plante d’appartement dépend de notre volonté de lui donner de l’eau et de la rempoter si sa croissance se voyait compromise. La conséquence de cet état d’esprit, c’est que la moindre des êtres vivant non choisis qui s’émisse dans nos espaces, nous l’appelons « nuisibles » et nous donnons le droit de l’exterminer. Les pigeons, les rats et les plantes sauvages hors de maîtrise, font partie de cette catégorie.  

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Et les pigeons, d'où viennent ils ?

Quelque données et piste de réflexions

Les pigeons à Paris.

Il y a 23 000 pigeons à Paris et leur population est relativement stable. Les pigeons des villes (composé à 90% de l’espèce biset ou Columbia livia) sont issus des élevages domestique (voir explication ci-dessous).

De cette domestication sélective, les pigeons ont conservé leur fort taux de reproduction (entre 2 et 8 couvées par année et par couple), ce qui encourage un développement exponentiel de l’espèce. Nous le verrons, il existe également une méthode douce pour réguler leur population. Par ailleurs Il y a un fort taux de mortalité due au manque de nourriture, aux maladies et plus généralement aux multiples pollutions auxquelles ils sont exposés.

Les interventions de dépigeonnage

Plusieurs sociétés privées sont mandatées par la mairie de Paris pour réguler leurs populations. Leurs méthodes sont variées : stérilisation des pigeons via chirurgie vétérinaire, empoisonnement de la nourriture, interdiction de nourrissage, capture aux filets et gazage, piégeage et mise sous une atmosphère clause dont on aspire l’air pour les asphyxier.

 

L’alternative des pigeonniers contraceptifs

1000 pigeons (soit environs 5 %) logent dans des « pigeonniers contraceptif » à Paris. Installés dans des endroits non gênants pour les citadins, ces pigeonniers sont généralement situés en hauteur sur un pilier unique ou quatre pilotis et percés de petites ouvertures pour l’entrée et la sortie de pigeons. Les pigeons sont dans un premier temps attirés par de la nourriture qui favorise leurs visites fréquentes avant leur installation en couple. La première couvée des pigeons est conservée afin de les fidéliser dans cet abri. Certains œufs des couvées suivantes sont récupérés puis stérilisés manuellement en les secouant.

 

Ils ne perdent ainsi par leur masse et peuvent être replacés dans le nid, n’éveillant ainsi pas les soupçons des pigeons qui continueront à les couver et à rester dans le nid. Une autre méthode est de leurrer les pigeons (mâle et femelle couvant successivement) en changeant leurs œufs par de faux.

Ainsi, les effectifs se stabilisent et les nuisances occasionnées au voisinage sont grandement limitées : les roucoulements et les fientes des pigeons sont concentrées au pigeonnier.

Qu’en penses les parisiens

Selon un sondage Ifop, 63% des Parisiens interrogés ont l'impression d'une stabilisation ou d'une baisse du nombre de pigeons. Les sondés sont loin de voir ces oiseaux comme une nuisance primordiale : loin devant viennent les détritus, la pollution, les crottes de chien ou encore l'urine humaine. Ils sont également 78% à souhaiter une cohabitation pacifique en ville entre les hommes et les animaux sauvages, tout en étant 43% tout de même à ne pas s'opposer à une diminution du nombre de volatiles par leur mise à mort. Ce qui doit être relativisé : quand on leur explique qu'il existe des méthodes «éthiques» pour réduire les problèmes liés aux pigeons (des filets ou grillages pour les éloigner, des pigeonniers pour les rassembler), ils sont en fait 85% à les approuver.

Les pigeons, origine et domestication

Le pigeon est domestiqué dans des colombiers en Asie mineure, au Proche-Orient ou en Iran depuis au minimum 5000 ans. Le pigeon biset sauvage niche dans les falaises sèches des rivages ou dans les parois raides des monts bien exposés au soleil, il est facile à l'Homme agriculteur et architecte de haute maison de terre de l'attirer dans des habitats à cavités encore mieux conçues pour échapper aux prédateurs.

Le pigeon biset a été utilisé dès l'Antiquité par l'Homme pour de multiples fonctions (élevage d'oiseaux à chair tendre, récolte des petits œufs, réserve de nourriture carnée en cas de disette, colonie fournisseuse de fumier ou de compost pour les jardins, alerte de danger inédit ou messagerie volante, animation de ville, parcs ou spectacles...).

 

Mais l'espèce est aussi redevenue sauvage à maintes reprises. Au XXe siècle, les parois verticales des immeubles en milieu chaud sont devenues des habitats de substitution, à condition de recéler des saillies, des failles ou des niches néo-gothiques. Les concentrations de pigeons remarquées dans certaines villes a donné une mauvaise réputation au pigeon, qu'on accuse à tort de transmettre des maladies : paratyphoïde, variole du pigeon, tuberculose... En effet, le pigeon et l'homme vivent en voisinage depuis des siècles sans partager plus de maladies que les autres espèces animales.

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